Il y a quelque chose dans la beauté envoutante de Lily James qui fait d’elle la parfaite héroïne des drames d’époque – mais c’est son esprit vif, sa chaleur et son intelligence qui amènent ces rôles à la vie face à un public moderne. Elle confie à Sophie Elmhiest l’inspiration qu’a été pour elle la vie de sa grand-mère dans une France occupée de la Seconde Guerre Mondiale, puis l’importance d’avoir plus de réalisatrices à Hollywood, et les changements positifs déjà en route.
Lily James a entendu une histoire …
Que sa grand-mère Française a raconté pendant des années. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, la grand-mère de James était enfant, vivant dans la campagne Française. Les nazis ont pris sa maison pendant l’occupation et la famille a été obligée de s’enfuir à Paris dans un convoi avec l’armée Française. Quand enfin ils revinrent après la guerre, ils ont trouvé leur maison détruite, les caves inondées, un manteau de fourrure flottant sur l’eau. « Quand je lui parle, » dit maintenant James, avec admiration, « je me rends compte à quel point leur vie était sans-dessus-dessous, l’horreur de tout ce qu’il se passait, et comment elle a pu continuer et être là assise, buvant une tasse de thé avec sa petite-fille. »
Il y a quelque chose d’intriguant à propos de ce manteau de fourrure : comment un simple détail peut se transformer en image, un moment insignifiant dans une époque épique de destruction qui, pour certaines raison, subsiste. Lily James et moi sommes assises dans un café d’Highgate et parlons de la Seconde Guerre Mondiale parce que, encore une fois, elle joue dans un film de ce temps, ‘The Guernsey Literary and Potato Peel Pie Society’, adapté du livre du même nom sorti en 2008, écrit par Mary Ann Shaffer et Annie Barrows. (En fait, elle est dans deux films sortis successivement : l’autre est ‘Darkest Hour’, dans lequel elle joue la secrétaire de Winston Churchill.)
James joue Juliet Ashton, une jeune écrivaine Anglaise charismatique, qui pendant l’après-guerre, cherche un nouveau sujet et reconstruit sa vie après que sa maison ait été ravagée par le Blitz. Ashton avait obtenu une colonne comique pendant la guerre, mais avec la paix, elle sent en elle des sentiments plus sérieux. Tout le monde en Grande Bretagne souffre et se bat, et tandis que la comédie apaisait les conflits, Ashton ne peut plus apporter la même lumière maintenant que le pays tente de se reconstruire de nouveau. Par chance, elle reçoit une lettre d’un homme nommé Dawsey Adams à Guernsey, qui a acheté un livre qui lui a autrefois appartenu. Ils commencent un échange qui mènent à son voyage sur l’île, se nouant d’amitié avec les membres du Guernsey Literary and Potato Peel Pie Society et découvrant l’histoire douloureuse de l’occupation des nazis. Pendant ce temps, Ashton tombe à la fois amoureuse et trouve le sujet de son nouveau roman.
Si vous avez lu le livre sur lequel le film est inspiré – un grand succès mérité – vous serez familier avec ses plaisirs particuliers et addictifs qu’il nous inspire. Dans sa forme épistolaire – essentiellement des lettres de Juliette, racontant ses aventures à Guernsey, mais aussi des lettres envoyées par les habitants, révélant les traumatismes de l’occupation. La forme est presque une ode au mot ‘écrire’, à l’art de l’écriture épistolaire, et ce qui semble être maintenant une manière archaïque et romantique de transmettre de l’encre au papier, et révéler les pensées intimes (contrairement à l’étalage d’Instagram avec une projection déformée de la vie). Les lettres d’Ashton débordent d’humour et de sentiments, son esprit courageux apparaissant comme un mouvement personnel de résistance.
Lily James est en certains points faite pour jouer ce type de femme Anglaise intelligente aux yeux étincelants venant d’une autre ère. Cela ne fait pas si longtemps depuis le rôle qui l’a propulsé à la célébrité, Rose dans ‘Downton Abbey’ – un personnage qui, par son amour du jazz et de la danse, bouleverse un statu quo refoulé. Et elle amène la même vivacité au sein de beaucoup de ses performances – en partant de ses premiers jours, après son diplôme de la Guildhall School of Music & Drama, au rôle d’Ethel Brown dans ‘Just William’, aux récents blockbusters, comme Cendrillon dans la dernière version de Kenneth Branagh. Aujourd’hui, sirotant du thé et du miel pour sa voix fatiguée, emmitouflée dans un grand manteau d’hivers, sa frange brune sur ses yeux, elle ne peut cependant toujours pas s’empêcher d’émettre un vif empressement, un enthousiasme d’esprit très British, qui apparait souvent à l’écran. Même la manière dont elle jure – ‘Oh, le salaud !’- est d’un enthousiasme charmant. Elle réfléchit sur le fait d’être toujours attiré vers des rôles dans des films historiques, ou sur le fait qu’ils soient tous attirés par elle. « Peut-être que c’est comme ça que les gens me voient » dit-elle, faisant référence à Rose. « Mais en même temps, pour Guernsey, j’ai vraiment adoré le scénario et en regardant en arrière, ce dont je suis plus qu’heureuse c’est que – Mon dieu, tout le monde dit toujours ça quand ils jouent dans un film historique – il y a de la modernité. »
Cette modernité est en partie grâce au livre original, qui a sa propre histoire fabuleuse à raconter – une histoire, comme celle de sa grand-mère, qui s’est transmise au fil des générations. ‘Guernsey’ (elle et moi avons convenu de l’appeler comme ça, après qu’aucune de nous deux n’ait réussi à trouver le titre sans que l’ensemble soit incohérent) a été commencé des décennies auparavant par une femme Américaine, Mary Ann Shaffer. Durant un bref voyage sur l’île, Shaffer s’est retrouvée coincée à l’aéroport et alors qu’elle attendait que le brouillard s’estompe – selon sa nièce et co-auteure Annie Barrows – elle a commencé à lire l’histoire de Guernsey dans la librairie de l’aéroport. Elle est devenue accro – stupéfaite de n’avoir jamais su auparavant à propos d’une occupation nazie sur une île si proche des terres Anglaises. Finalement, Shaffer a rédigé un brouillon du roman, mais quand l’éditeur est revenu vers elle en demandant des modifications, elle était trop souffrante pour terminer le projet et l’a confié à Barrows. « Elle m’a appelé et m’a dit ‘Peux-tu le faire, peux-tu terminer ce livre pour moi ?’ » me raconte Barrows au téléphone de chez elle en Californie. « Pour moi c’était une promesse ridicule à faire. Comment pouvez-vous terminer le livre de quelqu’un d’autre ? » Cependant, elle était écrivain – de livres pour enfants – et dévouée à sa tante, donc elle a accepté. « J’ai commencé à lire comme une folle. » dit-elle, et elle s’est rapidement laissée immergée par l’histoire. L’écriture a été aussi difficile qu’elle l’avait prévu. « J’ai écouté Mary Ann toute ma vie. » dit Barrows avec tendresse. « J’ai pu sentir le rythme de l’histoire qu’elle essayait de raconter. »
Barrows confie que Shaffer aurait été ravie à l’idée que son projet eu été maintenant adapté en film. « Elle aimait les films de tout son cœur. » dit-elle. « Elle était la seule personne que je connaissais à avoir regardé ‘Gone with the Wind’ deux fois dans la même journée » Pendant le tournage de Guernsey, Barrows a passé quelques temps sur le plateau : « Lily était bien et elle correspondait à mon idée de Juliet, mais elle a aussi amené cette forme de joie qui était importante pour moi pour le personnage de Juliet. » La joie est la spécialité de James, c’est ce qu’elle dégage même quand elle court de films en films, qui font qu’elle n’a pas pris de vacances depuis des années. Récemment, elle a tourné la suite de Mamma Mia! (« Follement drôle ») et, d’un autre côté, a aussi joué dans une petite production indépendante appelée ‘Little Woods’, écrit et dirigé par Nia DaCosta, dans laquelle James joue une femme vivant avec son enfant de six ans dans une caravane dans le Dakota du Nord. « J’ai pensé ‘Comment donc je vais pouvoir faire ça ?’ Mais j’ai adoré. »
Maintenant, sa voix et elle sont dans le besoin d’une pause. « En fait, je n’ai pas arrêté depuis tellement longtemps. » dit-elle. « Vous avez besoin d’un certain temps pour laisser vos personnages s’en aller, ainsi que tous ces gens avec lesquels vous avez travaillé et tous ces lieux différents dans lesquels vous avez vécu. » C’est aussi une époque particulièrement intense, alors que le contrecoup des révélations de Harvey Weinstein et le mouvement #MeToo continue de se faire ressentir. Comment trouve-t-elle cette industrie maintenant, dans l’ère après-Weinstein ? « L’ère après-Weinstein. » dit-elle. « C’est un très bon titre. » Je plaisante, amèrement, en disant que Weinstein pourrait essayer de faire son comeback en faisant un film sur sa propre histoire. James proteste. « Il ne fera pas de comeback. Il n’y aura pas de comeback ! Il n’y aura aucun comeback. »
Elle concède cependant que le comportement de Weinstein n’était pas un secret : « Avec Harvey tout est si compliqué. Tout le monde était complice de ça. Et c’est vraiment dur, parce que c’était une connaissance commune. Ce n’était pas une simple suspicion, c’est ça le problème. J’étais choquée par l’ampleur de tout ça. » Du point de vue de James, Hollywood a maintenant fondamentalement évolué. Après tout ce temps, dit-elle, après des années à avoir été mise en garde de rencontrer seule certains réalisateurs et producteurs. « Je me suis rendue à certains rendez-vous où je me disais ‘Attends, ça fait presque penser à un rencart – pourquoi ça fait penser à un rencart ?’ » dit-elle. « Je disais à mes amis que parfois on dirait que des réalisateurs castent des femmes avec lesquelles ils veulent coucher … Ils ne sont maintenant plus autorisés à penser à ça. Ils auront peur d’agir de la sorte. Je vais peut-être un peu trop loin, mais ça fait du bien, parce que maintenant ces abus de pouvoir ont été mis en lumière sur toutes les premières pages des journaux, et sur tous les réseaux sociaux. C’est partout. »
L’étape naturelle de ces évènements, dit James, est le développement de plus de femmes aux positions influentes : des écrivaines, des productrices, des réalisatrices. « Je veux être entourée de plus d’égalité entre les hommes et les femmes au sein de notre industrie. » dit-elle. De nombreuses fois elle s’est regardée dans un de ses films, dirigé par un homme, en pensant « Nooooon ». James porte sa main à son visage, comme si elle voyait un film d’horreur. « Souvent mes films sont racontés par un homme, avec ses visions de ce que je devrais être. »
Peut-être est-ce pourquoi Juliet Ashton dans ‘Guernsey’ est si contagieusement aimante et vraie : un personnage écrit par deux femmes, dont la voix est authentique et dogmatique, et incarnée par une actrice visiblement soulagée d’être enfin autorisée à parler de ce qu’est d’être une femme dans l’industrie du film, avec l’honnêteté et la passion que le sujet demande. Mais tout en racontant une histoire de femme, ‘Guernsey’ parvient aussi à être à la fois une romance (‘Qui voudrait lire un roman sans romance ?’ dit Barrows) et une enquête historique approfondie des complexités humaines pendant l’occupation.
Pourquoi Shaffer était-elle tellement attirée par cette période ? ‘La Seconde Guerre Mondiale était une guerre qui enveloppait toute la nation’ explique Barrows. ‘Tout le monde y était impliqué d’une façon ou d’une autre … ainsi quoi de mieux que d’être la source de cette fascination et de toutes ces histoires ?’ James est d’accord, et suggère que la douleur de l’occupation culturelle de la guerre est due à son inéluctabilité, et le grand défi de continuer une vie normale après une expérience de mort. « Les enjeux étaient si grands » dit-elle. « Ces gens vivaient et faisaient ce qu’ils avaient à faire dans ces circonstances extrêmes. » On observe aussi une similitude dans l’anxiété du climat politique actuel ; nous pouvons nous souvenir de cette époque emplie de fierté et de patriotisme, qui semblent bien loin aujourd’hui. « J’ai ressenti ça en regardant ‘Darkest Hour’ durant la Première. » dit-elle. « Quoi que vous pensiez de Churchill, ce dernier discours où il unifie le pays entier – il est la voix du peuple. Et maintenant on se dit, oh mon dieu, où est-ce que cette ferveur est passée ? »
Revenir à ces histoires, de nos jours, est aussi un moyen de nous rendre compte du présent. Nous nous souvenons de la guerre comme un événement passé, ses personnages plus fictifs qu’historiques (ces deux dernières années, Churchill a été incarné par tout le monde, de Gary Oldman dans ‘Darkest Hour’, à Michael Gambon dans ‘Churchill’s Secret’ et John Lithgow dans ‘The Crown’). Mais les réalités de la guerre résonnent encore. La nuit dernière, dit James, elle et son petit ami, l’acteur Matt Smith, ont regardé ‘Schindler’s List’. Ce n’est pas exactement une soirée très joyeuse à passer à la maison. « Je sais. » dit James, secouant la tête. « Je lui ai dit ‘Je ne veux pas regarder ça, Matt, je ne veux pas m’y replonger’ » dit-elle. « Il m’a dit ‘Non, on doit le regarder’. A la fin j’étais brisée, je pleurais, et je suis fière de l’avoir regardé parce que vous voyez ces images et c’est exactement ce que vous voyez chez les réfugiés. On doit se rappeler. »
Après notre rencontre, James rentrera chez sa mère dans le Surrey, où elle a grandi avec ses deux frères (son père, James, est décédé en 2008, et son nom de scène est un hommage à lui : son nom de famille est Thomson). Là-bas, elle reverra sa grand-mère. « J’ai hâte de la voir. » dit-elle. Sont-elles proches ? « Très proches ! » Cela aussi, fait partie de la puissance de ces histoires – une grand-mère s’asseyant avec sa petite-fille, lui racontant une enfance ravagée par la guerre, et comment trouver le moyen de la faire disparaitre au fil des décennies. Le passé n’est pas de la fiction : il vit dans les gens que nous aimons.
‘The Guernsey Literary and Potato Peel Pie Society’ sortira au cinéma en Angleterre le 20 Avril.
Harper’s Bazaar UK | Mars 2018 | Traduit par Lily James France ©