Lily James espérait « disparaître » dans la peau
de Pamela Anderson. A la place, elle s’est découverte.
Lorsqu’elle a accepté de jouer Pamela Anderson, Lily James s’attendait à recevoir la bénédiction de la star de ‘Baywatch’.
‘Pam & Tommy’, c’est après tout une histoire de consentement – l’exploration de la violation troublante de la vie privée qu’Anderson et son mari de l’époque, le batteur de Mötley Crüe, Tommy Lee, ont subi lorsque leur sex tape a été dérobée en 1995, puis diffusée en ligne.
Mais alors que la date de la production de la série Hulu se rapprochait au printemps dernier, les demandes adressées à Anderson sont restées sans réponses. Non seulement l’actrice de 54 ans a choisi de ne pas être impliquée dans la mini-série, mais elle s’est aussi, apparemment, opposé à son existence. Des rapports de tabloïds, citant des sources proches de l’actrice, ont affirmé qu’elle trouvait cette série « très douloureuse à vivre », la qualifiant d’une « contrefaçon bon marché » qu’elle ne regarderait jamais. Un mois après le début de la production, Courtney Love déclare sur Facebook que cette bande volée avait « détruit la vie de mon amie Pamela », déclarant que la série lui faisait subir « davantage de traumatismes ».
« Et honte à Lily James » Love ajoute. « Qui qu’elle soit. »
Dévastée : voilà ce qui restait de Lily James. L’actrice de 32 ans, qui avait passé la majeure partie de l’année à se métamorphoser pour le rôle, s’est retrouvée à se demander : en tournant une émission télévisée sur la manière dont Anderson avait été exploitée, James ne faisait-elle qu’en rajouter ?
« J’y suis vraiment sensible », dit-elle en essayant d’effacer une tâche de café qu’elle vient de renverser sur sa robe. « Tout ce que je peux dire, c’est que mes intentions – nos intentions – sont bonnes. Je ne me serais jamais engagée dans ce projet si je ne pensais pas que cette histoire était digne d’être regardée, afin de provoquer une communication sur la manière dont nous traitons les femmes. »
C’est un sujet houleux – un sujet pour lequel elle continue de se battre. Cinq jours après notre entretien, James a envoyé un mail en exprimant à quel point les sujets soulevés dans la série avaient été « dans mon état d’esprit ». Elle révèle qu’elle n’a appris qu’Anderson ne serait pas impliquée « qu’assez tard dans la production », et bien qu’elle ait été « incroyablement déçue », elle a souhaité concentrer ses émotions sur la volonté de « faire absolument tout ce que je pouvais pour lui rendre justice. »
Tout cela a jeté un froid sur ce qui est par ailleurs le plus grand moment de la carrière de James. Au cours de la dernière décennie, elle n’a joué que des rôles sympathiques et agréables : la princesse Cendrillon dans le live-action de Kenneth Branagh, la jeune version de Meryl Streep dans la suite de Mamma Mia, la serveuse en fuite de Baby Driver. Mais bien qu’elle soit apparue dans une vingtaine de films, elle n’est pourtant pas identifiée à une seule performance.
Mais ‘Pam & Tommy’ devrait changer la donne. Dans la peau d’Anderson, James est à la fois douce et audacieuse, incarnant la Cannadienne aux grands yeux dans sa vingtaine, qui profite d’une invitation au manoir Playboy et qui s’est battue pour que ses collaborateurs de ‘Baywatch’ et ‘Barb Wire’ la voient plus qu’un corps à produire.
« C’est un changement majeur pour Lily » a déclaré Lake Bell, qui l’a dirigée dans deux épisodes de la série. « J’ai vu sa férocité. Elle sait faire preuve de retenue, et sait quand libérer la tempête qu’elle retient à l’intérieur. Les gens n’ont pas encore vu ça chez elle. »
James avait déjà réfléchi à une métamorphose quand elle a été approchée pour jouer dans ‘Pam & Tommy’, avec qui elle partage la vedette avec Sebastian Stan dans le rôle de Lee. Elle a choisi un personnage sombre et complexe, et s’est vu dire par le réalisateur qu’elle était « trop sympathique ». Elle a pris cela comme le signe qu’elle avait besoin de revoir certaines choses.
« J’en avais marre, comme si je me répétais, j’étais coincée » se souvient-elle. « Le ‘tu es si sympathique’ est d’une certaine manière très diminuant. Ce n’est pas un compliment. »
James, qui a grandi dans le Surrey en Angleterre, à environ une heure de la maison qu’elle a récemment acheté dans le nord de Londres, était une enfant du théâtre traditionnel. Dans son école d’Arts Dramatiques, elle écrit toutes les paroles des chansons de Grease, et possédait un coffret Marylin Monroe. Après avoir obtenu son diplôme, elle a étudié à la Guildhall School of Music and Drama, qui compte comme anciens élèves Michaela Cole, Daniel Craig and Jodie Whittaker.
La comédie, elle a aussi ça dans le sang. Sa grand-mère, Helen Horton, était une actrice née aux Etats-Unis. Elle a interprété la voix de Mother dans ‘Alien’ de Ridley Scott. Son père, Jamie Thompson, décédé d’un cancer en 2008, était lui aussi interprète. Dans les années 70, il vivait sur Sunset Boulevard et joignait les deux bouts en étant serveur. Après qu’un accident de la route lui ait gravement marqué le visage, il trouve une nouvelle voie en jouant des rôles de gangsters.
« Mon père était un véritable artiste – je l’ai presque jamais entendu parler avec sa vraie voix. Il prenait tout le temps des accents, racontait des histoires, chantait des chansons » déclare James. « C’était un clown. Moi, je le suis moins. J’ai vraiment envie de jouer dans une comédie. Mon père était vraiment drôle. Je ne suis drôle que par accident. Quand je regarde des films dans lesquels je suis, je me rends compte ‘Oh, ils ont coupé ma blague’. Ce qui n’est pas bon signe. »
James est ouverte à accueillir ce genre de critique, et tous ceux qui ont travaillé avec elle disent qu’elle est souvent sa critique la plus sévère. Pour se préparer pour ‘Pam & Tommy’, l’actrice s’est entraînée avec le coach de dialecte Liz Himelstein pendant six semaines avant le tournage. Elle a également demandé la présence de Himelstein sur le plateau, et ils répétaient le texte et faisaient des exercices de diction et de prononciation dans la caravane de James pendant qu’elle se faisait coiffer et maquiller.
« Elle était très dure envers elle-même » confie Himelstein. « Elle récitait son texte et puis disait ‘Oh, ça ne sonne pas bien’. Je lui disais ‘Mais non, ça le fait’, et elle répondait ‘Non, j’ai besoin de le refaire’. Je disais ‘D’accord alors, recommençons’. Mais j’insistais ‘Mon dieu, ma chérie, tu gères très bien. »
James passait des heures à regarder toutes les interviews qu’elle pouvait trouver d’Anderson sur Youtube, notant son rythme, son ton, et ses inflexions. Et puis, sur son Iphone, James s’enregistrait en imitant les interviews et enregistrait les fichiers pour les travailler.
« Celle-là, par exemple » dit-elle en appuyant sur play pour montrer l’une des vidéos. « C’est la tonalité principale de Pam. Je l’utilisais pour trouver sa note au piano. »
Pendant les quatre mois de tournage de ‘Pam & Tommy’, James s’est transformée en Lady Gaga, ne parlant qu’avec l’accent Malibu d’Anderson. (« Sauf quand j’étais un peu ivre. C’est à ce moment là que je me disais ‘Oh, c’est vrai que c’est comme ça que je parle. Retour à mon sens de l’humour brut Anglais.’ »)
Physiquement, James a peu de ressemblance avec Anderson. C’est une brunette à la silhouette légère, qui n’ébouriffe pas ses cheveux et ne porte pas d’épais traits d’eye liner. Ainsi, alors qu’elle a passé six mois à s’entraîner avec un coach personnel avant d’enfiler le maillot de bain rouge emblématique de la jeune blonde, une grande partie de la transformation physique de James a été aidée par des prothèses. Elle a été choisie sans faire d’audition, et la première fois que la production a essayé différents looks sur elle, ça ne s’est pas très bien passé.
« Je ressemblais à une Italienne » rit-elle. « Je paniquais, je me disais ‘je n’y arriverais pas’. Je ressemblais en rien à Pamela Anderson. » Lorsque l’équipe a finalement refusé une perruque blonde bon marché et a arrêté de raser les sourcils de James, les choses ont commencé à s’améliorer. Elle porte quand même deux prothèses sur le visage, mais la majorité de la « transformation Anderson » a été réussie grâce au maquillage : redessiner le nez, utiliser les contours et les ombres pour rendre ses joues plus rondes, ajouter du liner pour repulper ses lèvres. Et pour compléter la transformation, elle portait des faux ongles, des lentilles de contact colorées, des fausses dents et une prothèse thoracique. Elle a également blanchi ses sourcils, et s’est faite bronzer tous les jours pendant toute la durée du tournage.
Elle a ressenti cette parure à la fois comme un soutien, mais aussi comme un obstacle.
« Parfois, c’était une armure incroyable dans laquelle je pouvais me cacher et disparaître » déclare James. « Et puis d’autres fois, tout ce que je pensais c’était ‘Non mais attendez, je ne lui ressemble pas.’ »
James s’est également sentie partagée à l’idée de regarder la sex-tape – dont certaines parties, moins explicites, sont reproduites dans ‘Pam & Tommy’. Quand on lui a demandé si elle avait visionné la vidéo pendant sa préparation, James a hésité.
« C’est pas que je ne veux pas le dire. Ça me met juste très mal à l’aise, parce que c’est un sujet très difficile à aborder à cause des dommages qu’elle a causé dans leur vie » avoue-t-elle. « La série parvient si bien à explorer les problèmes, les conséquences et les répercussions qui en ont découlé. Donc je préfère, quelque part, que la série explore ces sujets plutôt que de donner des réponses trop délicates et inconfortables. » (Craig Gillespie, réalisateur et producteur exécutif du projet, a précisé qu’après de longues conversations avec James, l’équipe a décidé de n’extraire de la bande que des passages allant jusqu’à un certain niveau pour servir à l’émotion, et ne pas l’utiliser pour inciter à « quoi que ce soit de sexuel » dans cette série représentant la vie d’Anderson et de Lee.)
James révèle avoir compris Anderson en profondeur après avoir lu son livre de poésie ‘Raw’ paru en 2015 et les textes qu’elle a écrits en faveur des animaux. Elle évoque également la manière dont Anderson était « minimisée et catégorisée » en raison de son genre et de sa sexualité.
Comme le souligne ‘Pam & Tommy’, la diffusion de cette sex-tape a été bien plus préjudiciable à la réputation d’Anderson qu’à celle de Lee. Parce qu’Anderson avait posé nue pour Playboy et qu’elle portait un maillot de bain à la télévision, la bande a été utilisée pour la catégoriser davantage comme une sexpot sans aucune substance ni ambition. Lee, quant à lui, a été applaudi pour la taille de ses organes génitaux, et idolâtré comme un chanteur de rock’n’roll féministe.
James elle aussi a dû faire face à un scandale public dans sa vie personnelle. En octobre 2020, le Daily Mail publie des photos de paparazzis d’elle en compagnie de l’homme marié Dominic West, co-star dans la série Amazon ‘The Pursuit of Love’, en train de s’embrasser intimement à Rome. Quelques jours plus tard, West embrasse sa femme devant les photographes à Londres devant leur domicile. « Notre mariage est fort et nous sommes toujours ensemble » a-t-on pu lire sur une note que le couple avait collé sur le parvis de leur maison.
A cette époque, James n’a rien dit sur l’incident, et elle n’est toujours pas prête à en parler un peu plus d’un an plus tard. Quand on lui a demandé si elle avait ressenti la même honte qu’Anderson à cause des médias, elle essaye d’éviter toute allusion sur sa vie.
« J’ai seulement l’impression que, malheureusement, cette question et ce sujet sont toujours d’actualité, car cela arrive à plein de femmes » déclare-t-elle. « Il n’y a pas beaucoup de femmes dans l’espace public qui n’ont pas l’impression que leur vie privée ait été violée. Et donc, c’est quelque chose que je voulais vraiment explorer, parce que cela cause beaucoup de dommages. »
Donc, a-t-elle accepté de jouer dans ‘Pam & Tommy’ pour explorer ces questions ?
« Non, j’ai signé il y a deux ans » précise-t-elle. « Mais j’ai peur de ne pas réussir à m’exprimer correctement – surtout quand les choses sont ensuite écrites et qu’elles représentent ma voix dans le monde. Je préfère explorer ce que je ressens dans mon travail. Par exemple, là maintenant, nous sommes en train de parler de ma vie privée alors que je veux parler de mon travail, et d’une certaine manière, c’est exactement ce que nous tentons d’explorer dans la série. »
Sans entrer dans les détails, Bell a déclaré qu’elle et James – « comme la plupart des femmes dans notre industrie » – étaient liées par des sujets comme « le vol de l’image, du corps, et de la sécurité et du confort féminin. » En 2014, Bell s’est fait voler et diffuser des photos d’elle dénudée dans l’affaire d’un gros piratage de célébrités appelé le Fappening.
« Quand je me suis engagée à raconter cette histoire, l’une des premières choses que j’ai dites, c’est que j’avais l’impression que c’était un avertissement » déclare-t-elle. « D’un certain point de vue, vous pourriez dire que les créateurs de cette série sont des hommes blancs cis, mais au fur et à mesure, on comprend que les forces créatives viennent de femmes qui ont vécu une situation similaire. Et nous avions la responsabilité de ne pas exploiter Pam une fois de plus. »
Bell révèle qu’elle et James ont une nouvelle collaboration potentielle à venir, et l’actrice a déclaré qu’elle était impatiente de produire plus de choses venant de sa propre création. Elle admire des acteurs comme Helena Bonham Carter et Amy Adams, qui n’affichent aucune allégeance à un genre particulier. A l’université, déclare James, l’un de ses professeurs lui a dit que « la répétition signait la mort de la créativité. » Le professeur insistait tellement sur cette leçon qu’il n’acceptait jamais que ses élèves s’assoient deux fois à la même place.
« Jamais je ne souhaite me reposer sur certains traits de caractères de mes personnages, qui me seraient ensuite faciles à reproduire » ajoute-t-elle. « Je suis satisfaite des rôles que j’ai joués jusqu’à maintenant, mais je veux continuer à aller à des extrémités opposées. Je suis accro à cette idée. »
Elle s’est également forcée à prendre soin d’elle-même en-dehors des écrans. L’année dernière, elle a commencé à méditer, à voir un thérapeute et un guérisseur chamanique, qu’elle consulte sur Zoom.
L’un de ses objectifs, c’est de travailler à « éteindre ses pensées », à faire taire cette voix qui la critique constamment. Elle cherche à s’enraciner dans un métier où elle se sent souvent instable – jouer quelqu’un d’autre, se rapprocher de nouvelles personnes pour ensuite les quitter, vivre dans des endroits nouveaux, ne pas voir ses amis ou sa famille.
C’est en partie la raison pour laquelle elle parle d’Anderson avec tant de tendresse. Elle ne souhaite pas trahir quelqu’un qu’elle ressent aujourd’hui comme une partie d’elle-même.
« C’est très étrange, voire surréaliste, d’avoir passé autant de temps à étudier quelqu’un et à apprendre à le connaître sans jamais l’avoir rencontré. Je souhaite de toujours être réfléchie et sensible à son sujet » déclare-t-elle. « Néanmoins, je préfère de loin parler de ces questions difficiles et nuancées dans mes projets. C’est comme ça que je souhaite m’exprimer. »
Los Angeles Times | 2 février 2022 | Traduit par Lily James France ©