David Mackenzie ne fait jamais deux fois le même film, et cela enchante ses stars dans ‘Relay’ Riz Ahmed et Lily James.
À l’approche de sa première mondiale, le cinéaste et ses stars présentent à IndieWire leur thriller particulièrement intelligent aux flashbacks tortueux, conçu pour les spectateurs qui aiment être surpris et étonnés.
Environ trente minutes après le début du dernier film de David Mackenzie, l’astucieux thriller « Relay », quelque chose d’amusant se produit. Ou ne se produit pas, en fait, car c’est à peu près à ce moment-là que les spectateurs les plus attentifs remarqueront que notre protagoniste, interprété par Riz Ahmed, n’a pas encore dit un mot à qui que ce soit.
Nommé d’après les services de relais de messages qui aident les personnes souffrant de troubles de l’audition ou de la parole à passer et à recevoir des appels téléphoniques par le biais de textes (avec un opérateur de relais humain comme intermédiaire), « Relay » est le dernier film en date de la filmographie en constante évolution de Mackenzie, une version moderne des thrillers paranoïaques, qui étaient très à la mode dans les années 70.
« Je ne sais plus si c’était écrit comme ça dans les premières versions » déclare Mackenzie lors d’une récente interview pour IndieWire. « Mais on avait l’idée de ce personnage qui fait tout sans avoir aucune communication directe avec d’autres personnes, ce qui ajoute à sa solitude, à sa paranoïa, et à toute cette tension étrange. »
C’est un choix audacieux et intelligent. ‘Relay’ suit le personnage d’Ahmed, un réparateur indépendant dont l’activité principale consiste à aider des dénonciateurs potentiels à restituer les documents compromettants à des méchants qu’ils ont volés, puis s’assurer que leur vie retrouve un semblant de normalité une fois l’affaire conclue. Non seulement on n’entend pas le personnage parler de tout le film, mais on n’apprend également son vrai nom à la fin (il se fait appeler John, James ou Ash). Ses motivations ? Il faut du temps avant de les découvrir, tout comme l’étrange situation dans laquelle se trouve sa dernière cliente : Sarah Grant (Lily James).
« Il ne s’agit pas d’un film à sensation qui parle d’IA et du web. Sa principale caractéristique, c’est la manière dont ses personnages principaux communiquent, ou ne communiquent pas. » déclare Ahmed à IndieWire. « D’un point de vue d’acteur, c’était vraiment grisant pour moi de travailler avec un réalisateur comme David, qui peut donner vie à des personnages avec si peu de moyens, et d’en faire ressortir des relations complexes. Je me suis beaucoup amusé. »
Pour Mackenzie qui a touché à tout, en partant du film de guerre d’époque ‘The Outlaw King’ jusqu’au thriller policier « Hell or High Water », en passant par la comédie romantique « You Instead », ainsi que « Hallam Foe », il y a un lien de connexion entre tout cela.
« J’aime particulièrement quand le troisième acte ne donne pas l’impression de suivre le premier » déclare le cinéaste. « Ainsi, on ne résout pas un problème de manière directe, même si c’est le cas, mais on nous emmène dans un endroit différent.
« J’aime toujours faire en sorte que le troisième acte ne donne pas l’impression d’être prescrit par le premier », a déclaré le cinéaste. « Ainsi, on ne résout pas directement un problème, même si c’est évidemment le cas, mais on est emmené dans un endroit différent. Je m’intéresse toujours aux personnages d’outsiders, et celui de Riz est un outsider assez extrême. Et, pas toujours, mais j’aime nager dans la version dramatique des eaux politiques. Je n’essaie pas de marteler un point politique, comme dans le film « Hell or High Water », vous dites quelque chose, mais vous cherchez une vérité dramatique plutôt qu’une sorte de vérité factuelle.
Concernant ‘Relay’, qui sera présenté cette semaine au Festival International du Film de Toronto, Mackenzie ajoute : « J’espère qu’ils comprendront que c’est un thriller. J’espère qu’ils trouveront ça passionnant. J’espère que cela provoquera des connexions humaines, et que la signification du film trouvera un sens. »
Alors que le personnage d’Ahmed a construit toute sa vie autour d’une structure destinée à garder son anonymat et à le garder en sécurité – ses communications avec ses clients consistent à utiliser un système de relais, ou l’utilisation de méthodes vielles écoles telles que des services de messagerie ou de courriers – sa rencontre avec la dynamique Sarah fait pourtant tomber ses défenses dès le début. Ancienne chercheuse pour un grand conglomérat alimentaire, Sarah le supplie de la sortir du pétrin : elle a des documents qui prouvent que son ancien employeur est sur le point de lancer une nouvelle variété de blé susceptible de nuire à de nombreux consommateurs. Elle ne souhaite pas les divulguer au monde entier, mais faire en sorte que ceux qui la suivent (comme Sam Worthington et son équipe de surveillance très louche) la laissent tranquille.
C’est à peu près tout ce qu’il est possible de dire avant que le public ne découvre le film, qui regorge de rebondissements excitants et bien écrits.
« Dans un thriller, il ne faut pas donner de détails. C’est le suspense, et ce qu’on apprend au fur et à mesure – ce qu’on pense qu’il va se produire et qui ne se produit pas – qui font le succès de ce genre d’histoires » déclare James à IndieWire. « J’ai été vraiment surprise par la manière dont les choses se déroulent, par ces différents personnages et les secrets qu’ils gardent, et par les motivations qui les amènent à faire ce qu’ils font ; qui est le méchant, qui est le gentil, qui protège, qui se retourne. J’ai trouvé le scénario vraiment efficace, il maintient le lecteur dans l’incertitude sur ce qu’il va se passer dans la page suivante. »
Mackenzie révèle avoir été attiré par ce film parce qu’il faisait écho aux thrillers paranoïaques des années 60 et 70 qu’il aime particulièrement – des films comme « Les trois jours du condor », « Parallax View », « Point Blank », ou même des films plus récents comme « Michael Clayton ». Ce genre de film où, comme il le dit, « Vous avez l’impression que des forces étranges sont autour de vous et qu’elles évoluent contre vous ». Eh bien, c’est ici le cas.
« J’ai cette tendance à ne pas regarder d’autres films quand je réalise un long métrage. J’essaye de faire en sorte que mon expérience lors de la réalisation de mon film soit aussi fidèle que possible aux scènes écrites et à la relation entre les acteurs » déclare Mackenzie. « Bien que je sois heureux d’évoluer dans ce milieu, parce que j’adore ce type de film. Mais c’est mieux d’arpenter le chemin soi-même plutôt que de chercher à leur rendre hommage. » Lorsque nous nous sommes entretenus pour cette interview, il restait à Mackenzie un jour de tournage pour son dernier film, « Fuze », et il a admis avoir brièvement envisagé de regarder quelques films du même genre avant de se souvenir ce qui a fonctionné pour ses autres films dans le passé.
« David m’a donné une tonne de thrillers classiques à visionner pour que je saisisse la bonne ambiance et le juste ton à donner, et j’ai trouvé ce film vraiment authentique » déclare James. « Cette manière qu’ont les personnages de communiquer, au travers de ces vieux systèmes de relais de de bureaux de poste, c’était un retour en arrière brillant. Dès qu’on supprime le téléphone portable de nos communications, le besoin de connexion se fait automatiquement plus grand, et cela accentue le drame. »
« C’est une manière différente de contourner la surveillance, et je trouve cela tout à fait fascinant » confie le cinéaste à propos du système de relais présenté dans le film. « Dans notre monde numérique, il est très, très difficile de passer sous le radar, parce qu’on est traçable dans tous les sens du terme : à chaque fois qu’on utilise une carte de crédit, ou à chaque fois qu’on utilise un téléphone. Ce jeu étrange auquel Ash, Sarah et ses autres clients doivent se prêter pour communiquer et se protéger donne au film ses allures de thriller. L’ancienne technologie qu’ils utilisent renvoie également aux autres films du genres des années 70, qui sont au cœur de l’ADN de ce projet, et qui, je l’espère, trouveront un écho. »
Mackenzie avait d’abord été mis sur la réalisation du scénario de ‘Black List’ de Justin Piasecki avant la pandémie. « Il a été mis de côté pendant un certain temps, et puis on s’est remis dessus » révèle-t-il. Une fois Mackenzie de retour sur le projet, Ahmed et lui ont commencé à travailler ensemble et ont ajouté des « éléments de détails » pour nuancer le personnage d’Ahmed. Les détails concernant son identité sont ainsi donnés lentement et régulièrement dans l’histoire, ajoutant cette ambiance de constante découverte qui prévaut dans ‘Relay’.
« Ce que je trouve vraiment intéressant, c’est que ce personnage soit progressivement intégré à l’histoire sans directement être mis dans une case » explique Ahmed. « On passe une demi-heure dans le film sans jamais l’entendre parler. On passe la majorité du temps sans savoir comment il s’appelle, on ne sait rien sur lui. Il était important pour nous – et pour le public je pense – de faire en sorte que lorsque tout se met enfin en place, on comprenne entièrement qui il est : quel est son passé, et comment il fait partie du puzzle.
Aussi sérieux que le film puisse paraître, Mackenzie et ses acteurs se sont pourtant beaucoup amusés. Ahmed revêt une multitude de déguisements qui permettent à son personnage de passer inaperçu : un livreur, un policier, un ouvrier du bâtiment …
« C’est cela que nous recherchions : quelqu’un qui se déguise en livreur à vélo et qui se perd. Ils sont partout, dans toutes les plus grandes villes du monde, et plus particulièrement à New York, et on ne saura jamais qui ils sont. » révèle le cinéaste. « Ils sont presque invisibles. Nous avons interviewé un certain nombre d’anciens espions et de dénonciateurs, et un des témoignages était particulièrement intéressant. Il nous a dit : « N’oubliez jamais le pouvoir de la sous-estimation ». En faisant en sorte que les gens nous sous-estiment, qu’ils aient une moins bonne opinion que ce que nous sommes vraiment, on peut alors se faufiler et parvenir à évoluer dans n’importe quel cercle. On se déguise surtout pour essayer d’être le plus insignifiant possible. »
Alors que le personnage d’Ahmed alterne la ville et son bureau dans le New Jersey – le film a été tourné là-bas au printemps dernier -, la Sarah de James lutte contre sa situation dans un appartement du centre-ville et tente de s’assurer que le personnage d’Ahmed sera vraiment en mesure de l’aider. Les personnages se rapprochent lentement, même s’ils ne se parlent pas de manière directe.
« J’ai eu peur d’accepter de jouer dans ce film, parce que je voulais vraiment travailler avec David et Riz et que j’adorais le scénario, mais je me suis dit « Mon dieu, il y a tellement de dialogues, et mes scènes avec Riz se passent pratiquement toutes au téléphone ! » » confie James. « En tant qu’acteur, jouer une scène au téléphone, c’est le pire qui soit. J’ai besoin de regarder quelqu’un dans les yeux. J’ai besoin de me nourrir de ce que l’autre me donne. Sinon, je me renferme dans mon esprit, je ne pense qu’à moi, et c’est l’enfer sur terre. Mais je savais que David était capable d’en tirer des bons plans cinématographiques. »
Le personnage d’Ahmed pousse Sarah dans des endroits toujours plus effrayants, comme dans un bref voyage à Pittsburg pour attirer l’équipe de surveillance à ses trousses. Effrayée, Sarah joue pourtant le jeu.
« Elle avait les capacités à supporter le poids de la dualité de ce personnage » confie Mackenzie à propos de James. « Il est facile de se dire que c’est quelqu’un de bien. Mais je pense qu’elle est surtout vulnérable. Ce que j’ai le plus apprécié, c’est son côté scientifique nerveux, légèrement nerd. Je l’ai trouvée très crédible, mais aussi attachante, et c’est ce qui prime dans la connexion entre Riz et elle. »
Si Ahmed et James sont les vedettes du film, les personnages secondaires choisis par Mackenzie sont tout aussi essentiels, comme Willa Fitzgerald, qui incarne des membres de l’équipe de surveillance. « Pour tout vous dire, pendant le tournage, j’ai trouvé que Willa était une vraie star » déclare Mackenzie. « Elle était géniale. Je suis triste que nous ne puissions pas avoir le mérite de l’avoir révélé avant, mais j’espère que nous ferons quand même partie de son chemin. »
Alors, comment construire une alchimie quand l’essentiel du film tourne autour se vos personnages principaux qui discutent au téléphone, tapent sur des claviers, ou se laissent tout simplement des messages ? Par des méthodes traditionnelles, bien sûr, comme les répétitions.
« Nous avons pu avoir beaucoup de temps pour répéter, et nous avons travaillé sur le scénario, David, Riz et moi, de manière très collaborative pendant des répétitions, en trouvant par exemple ce que veut dire chacun de ces appels téléphoniques, et en observant l’évolution de leur relation » explique James. « La distance qui les sépare ajoute beaucoup de tension, mais il faut aussi que l’on puisse sentir que cette relation s’épanouit et s’approfondit par le biais de ces appels. »
Ahmed ajoute : « On travaillait six ou sept jours par semaine afin de peaufiner et nuancer le scénario et la relation. C’est une chose si délicate à construire, quand il n’y a pas de face-à-face direct entre les deux personnages. »
Ahmed et James ont tous les deux évoqué une scène particulière du film, dans laquelle le personnage d’Ahmed, de plus en plus inquiet pour Sarah, brise son propre code, mettant à mal les périmètres du système.
« Il a mis en place un système très, très clair, et il est conçu pour qu’il réussisse dans son travail. Ce système ne fonctionne que dans le cadre professionnel » explique Ahmed. « Il est censé l’empêcher, sur le plan personnel, de nouer des relations qui pourraient le menacer physiquement et menacer sa sécurité. Mais on sent aussi que c’est quelqu’un qui ne se sent pas à l’aise à l’idée de laisser les gens entrer dans son intimité émotionnelle. Il prend donc un risque certes professionnel, mais aussi personnel et émotionnel. »
Ahmed rit. « Je vais le dire franchement, cette scène est une idée de ma femme [la romancière Fatima Farheen Mirza]. Nous venions d’avoir un enfant à cette époque, et je partais faire ces répétitions tous les weekends. Elle me demandait ce que je faisais, je lui en parlais et à un moment elle m’a dit : « Tu sais ce que vous devriez faire ? » Je me souviens en avoir parlé à David, et il m’a répondu : « C’est du génie ! » »
« C’était la clé qui nous manquait pour approfondir ce lien » ajoute James. « C’est une romance qui peut paraître étrange pour le public, de voir ces deux personnages évoluer vers la confiance et un sentiment l’un pour l’autre, mais il y a ce lien authentique qui se développe. Nous vivons tous avec nos téléphones, et je m’identifie à cette situation où on se sent intime et proche de quelqu’un par l’intermédiaire d’un écran. »
Rassurez-vous, le couple n’est pas sur son téléphone pendant tout le film ! Tout cela mène à un final plein d’action – ce lieu qui fait toute la différence, comme l’aime Mackenzie – dans lequel James et Ahmed ont l’occasion de montrer l’action de leurs muscles.
Il y a un élément qui était « vraiment effrayant mais très attirant, et c’est pour ça que j’ai voulu le faire » déclare James. « Je n’ai pas souvent eu ce type de rôle et d’opportunité, et c’est quelque chose que j’aimerais faire plus souvent. Cela m’a ouvert l’appétit, et m’a donné l’envie d’en faire plus. »
Ahmed est aussi impatient de faire plus de projets d’action. « Plus j’en fais, plus j’ai l’impression que l’action est la tâche la plus exigeante dans un jeu d’acteur. Elle exige une telle précision et une telle prouesse technique, tout en exigeant de trouver la spontanéité et l’émotion » explique-t-il. « Plus j’en fais, plus je suis intrigué, et plus j’ai de respect envers les gens qui vivent de ça tous les jours. »
Le film est un régal à regarder en salle, et Mackenzie espère qu’il sera distribué par un distributeur qui fera de cette volonté une réalité. « J’aimerais qu’il sorte en salle, car j’adore l’idée d’une expérience commune » révèle le cinéaste. « Nous cherchons une maison de production pour ce film, et même si j’ai passé un excellent moment en streamant mon dernier film [The Outlaw King de Netflix], c’était une honte pour moi qu’il ne sorte pas en salle, parce qu’on fait ce métier pour cette expérience. Mais j’accepte qu’il y ait plusieurs manières de visionner un film, j’en ai regardé beaucoup sur mon écran d’ordinateur.
James ajoute : « Evidemment que je veux le voir au cinéma ! Il est fait pour le grand écran. Regarder un film collectivement, surtout un thriller, c’est sentir les autres retenir leur souffle, haleter quand ils sont surpris par les rebondissements de l’histoire. Cela ajoute de la tension et du drame. »
Ahmed est un peu plus mesuré : il souhaite juste que les gens regardent le film ensemble, ce qui est plus intéressant pendant les discussions après la séance : le qui, le quoi, le comment de ce qu’ils viennent de regarder. « Je souhaite vraiment que les gens apprécient ce film ensemble, que ce soit dans une salle de cinéma ou chez eux » déclare Ahmed. « Il y a des rebondissements et une histoire d’amour. C’est un film à voir en amoureux. C’est un film où l’on peut se détendre, où l’on profite du voyage. Ce film va vous faire voyager. »
« Plus les années passent, plus j’essaye de faire des films plus commerciaux que ‘Hallam Foe’, par exemple, tout simplement parce que je souhaiterais toucher un public plus large » confie Mackenzie. « C’est ce que j’espère avec celui-ci : c’est un thriller engageant, paranoïaque et tendu, avec des connexions humaines. Je pense que c’est le bon moment et le bon endroit pour cela. Mais il n’y a pas de formule magique. En fait, c’est le contraire, c’est-à-dire qu’on essaye d’éviter de refaire le même film. »
Il ajoute en riant : « Le milieu du cinéma est déjà suffisamment difficile pour répéter les mêmes gestes. »
IndieWire | 7 septembre 2024 | Traduit par © Lily James France