Un conte doucereux au parfum actuel
All About Eve est intemporel. Margo Channing est une actrice reconnue et adulée. Tous les soirs, elle monte sur la scène du théâtre pour interpréter un rôle uniquement écrit pour elle. Margo est une star capricieuse, hautaine et égocentrique. Elle quémande, se fait habiller et servir, telle une reine suprême. Au détour d’une représentation, elle se fait présenter la jeune Eve Harrington ; prototype de la jeune ingénue, suivant les traces de son idole de toujours. Comme toute star qui se respecte, Margo n’est pas insensible aux flatteries de cette jeune adolescente, qui ne doit pas sans cesse lui rappeler sa propre image quelques décennies plus tôt. Margo prend Eve sous son aile. Sauf que Eve est jeune, belle et brille de sa jeunesse. Eve s’insère dans le milieu avec l’aisance d’un papillon qui sort de sa chrysalide. Peu à peu, il n’y en a plus que pour Eve, cet ange aux cheveux blonds, que l’on ne manque pas de consulter et de retrouver au centre de toutes les conversations. Eve va prendre sa place, quel qu’en soit le prix terrible à payer.
Méfiance, complots et trahisons sont les thèmes premiers de la pièce. Adaptation du film à succès de 1950 mettant en vedette Bette Davis et Anne Baxter, il n’en réside pas moins un terrible arrière goût actuel. Deux femmes s’étripant pour la gloire et la beauté, devant des hommes stoïques venant même à les encourager. Une recherche éperdue de qui nous sommes dans un métiers (et une société) où l’image prime sur notre véritable individualité. Au contraire, All About Eve ne peut être plus actuel, à l’époque de #MeToo où les femmes tentent enfin de se frayer un chemin dans cette société patriarcale.
La mise en scène, dirigée par Ivo van Hove, nous offre un spectacle au visuel original et singulier, oscillant entre le cinéma et le théâtre. De grands écrans installés au-dessus de la scène nous montrent les acteurs filmés de différents angles, et montrent ce qui ne doit pas être vu : une Margot en mal de vivre qui vomit dans la salle de bain, Eve qui montre son vrai visage en menaçant dans les toilettes l’assistante de Margot pour qu’elle puisse la remplacer. La caméra joue le rôle de confident et révélateur des vérités. Elle est le miroir confus de l’âme troublée des personnages. Un choix intéressant et appliqué avec une minutie quelque peu déroutante.
Mais le véritable pilier de cette pièce, c’est sans aucun doute la qualité des performances. Peu fan des séries policières en tout genre, c’était la première fois que je découvrais réellement Gillian Anderson ; et je n’ai pas été déçue. Gillian est sans aucun doute l’atout principal, le coup de poing, celle qui pendant un instant, brille tellement de sa performance que le temps se suspend. Son interprétation de Margot Channing est la plus poignante qu’il m’ait été donné de voir au théâtre jusqu’à aujourd’hui. Une véritable leçon d’acteur.
Bien entendu, vient la partie que j’attendais bien évidemment le plus, et la raison pour laquelle j’ai vu la pièce : Lily James. Si nous enlevons le côté fan qui vient voir une de ses idoles (avoir eu la chance de la voir performer en face de moi pendant plus de deux heures, entendre sa voix et même l’entendre chanter est sans doute un des jours les plus mémorables de ma petite vie), Lily offre une performance pleine de nuance, à la fois similaire et différente avec ce qu’elle a pu jouer jusqu’à maintenant. Car Eve est un personnage à deux faces, et Lily a parfaitement su montrer dans la finesse de son jeu la complexe personnalité de son personnage. Un volte face intéressant, faisant écho à sa dernière interview pour Harper’s Bazaar UK où elle déclarait vouloir s’éloigner des personnages qui tendaient à trop lui ressembler.
Le reste du casting n’en était pas moins brillant, offrant un spectacle tout en humour et en drame, faisant flotter sur le plateau la douce mélodie de la fatalité.
Laisser un commentaire